Lorsqu'un compositeur a terminé son travail d'écriture, lorsque son oeuvre est créée, jouée, enregistrée, lorsqu'elle passe de main en main, de bouche en bouche, de baguette en baguette, de ville en ville et de pays en pays, un autre vent de liberté peut se lever, faisant écho à celui qui a entraîné le compositeur dans sa tâche, un vent naissant dans les têtes et dans les mains d'autres passionnés de l'oeuvre, et qui va la faire virevolter encore autrement....
Autrement ? Oui ! Sans doute hors des frontières initialement imaginées par l'auteur de l'oeuvre, peut-être en harmonie avec le travail initial, mais peut-être aussi parfois en décalage voire en dissonance.

Ce billet raconte l'histoire d'une de ces libertés prises par une enseignante avec Tchikidan, la deuxième oeuvre dogorienne d'Etienne Perruchon...
Son projet ? Faire vivre à ses élèves un petit bout d'expérience dogorienne, même si aucun autre projet autour d'une des oeuvres d'Etienne n'est en cours dans leur ville... Leur faire goûter une petite tranche de cette musique si particulièrement accessible et "parlante", et même leur permettre de se l'approprier avec leur corps tout entier, de la mettre en espace, en mouvement, dans un univers imaginaire créé par eux, en groupe. Convaincue que quelques petites minutes étaient déjà assez fortes pour permettre à ces enfants une expérience artistique en léger décalage, permettant d'ouvrir en eux une première soif de musique "différente". Convaincue aussi qu'elle même pourrait donner le meilleur à ce rendez-vous de fin d'année sur un podium, afin qu'il soit une expérience réussie, si elle choisissait un univers musical qui lui parle au coeur...

Djia a été choisi pour cela, parce que cet opus, le dernier de Tchikidan est une petite oeuvre à lui tout seul. Il a la capacité d'être autonome : il part du silence, nait, grandit, en intensité, en complexité, puis triomphe en un cri conclusif qui affirme. Quel beau matériau sonore pour y construire un univers et le mettre en scène, à sa manière, unique, devant parents et amis pour conclure une année scolaire en point d'orgue et avec sincérité.

Autant dire dès à présent que l'objectif fut atteint au centuple ! Et même au tricentuple, puisque l'expérience fut lancée par trois fois...

Il y a 4 ans, Djia fut mis en espace par des CE1/CE2 dans une petite ville iséroise. Certains de ces élèves avaient eu la chance d'assister à un concert de Dogora l'année précédente, et il leur fut facile de s'imprégner de Djia et de l'intégrer dans le projet de l'école autour des couleurs. Les nuances noir-gris-blanc furent choisies, et un travail axé sur les oppositions, sur la lenteur et sur les émotions "lourdes" fut conduit. Le "retour" des collègues et des familles fut saisissant...

Autre cadre et autre région l'année suivante : les CM1 d'une école en REP des alentours de Valenciennes se sont vus proposer Djia comme bande son de leur danse de fin d'année. Totalement déroutés, pris à contre pied de leurs habitudes musicales, ils ont mis du temps avant d'accepter de s'y mettre... Mais ensuite, tout est allé très vite, et les propositions ont pris forme, autour d'une gestuelle saccadée et de propositions intégrant des moments d'improvisation. Habits flashys pour les filles, noirs pour les garçons, avec le choix d'intégrer un "intrus" au costume décalé... Le public du jour fut aussi pris à contre pied, étonné et interpellé par cette bande son si "forte"...

Enfin, en juin dernier, près de Lille, ce sont des "petits" CE1 qui ont eu Djia à intégrer dans le projet de leur école, autour des contes et légendes. La classe a inventé son conte à elle, après avoir écouté plusieurs fois la musique. L'histoire fut celle de quatre peuples (4 couleurs) qui, se croyant seuls au monde, découvrent l'existence des "autres". S'ensuit un jeu de découverte, de peur surmontée, d'harmonie à 2, de mélange, d'harmonie à 4, et au final d'envie de repeindre le monde en multicolore pour crier au "vrai" monde que rien n'est plus beau que la rencontre de celui qui est différent. Là, quelques beaux témoignages d'élèves ont couronné le projet d'un halo de sourires !

Petite anecdote de rentrée : ayant croisé quelques anciens élèves de cette classe en septembre dernier, l'un d'eux, au lieu de dire "bonjour", s'est écrié :" Djia ni chäniqual feshtani !" Enchange de sourires entendus et complices entre l'enseignante et cet élève : les graines on germé...

Voilà... Une transgression, une liberté prise avec un fragment d'oeuvre, et au final de beaux moments "vrais" rendus possibles par la force de ces notes !

Qu'il me soit permis de remercier ici Etienne Perruchon pour son bel univers dogorien. Le remercier aussi pour le risque qu'il accepte de voir sa musique embarquée dans des projets différents des siens propres. Espérant que les chemins de traverse proposés à sa musique ne le blessent pas. Qu'il sache en tout cas qu'ils ont fait du bien à tous ceux qui les ont suivis ces 3 années là...