Sarah Zajtmann qui jouera en première partie de Dogora le 9eme concerto pour piano dit "Jeunehomme" de Mozart était en concert ce lundi 7 juin au Conservatoire de Région de Lyon.

A cette occasion elle a interprété ce même concerto dans une réduction pour piano avec Nathalia Milchtein, le premier mouvement de la sonate op.2 n°3 en do majeur de Beethoven, L'isle joyeuse de Debussy et la première ballade en sol mineur de Chopin.

Bien sûr la version réduite du concerto de Mozart ne sonne pas comme il sonnera à l'auditorium M.Ravel le 26 Juin à 18h36 précisément ;-) Mais la maestria dont les deux jeunes filles ont fait preuve donne un avant goût alléchant de l'« Héroïque » de Mozart comme l'a surnommé le célèbre historien de la musique Alfred Einstein en référence à la symphonie n°3 de Beethoven écrite elle aussi en mi bémol majeur.

Wikipédia indique que ce concerto est pour piano solo, deux hautbois, deux cors, et ensemble à cordes. Il comporte trois mouvements :
  • Allegro en mi bémol majeur à quatre temps (4/4)
  • Andantino en do mineur écrit en 3/4
  • Rondo (Presto) en mi bémol majeur, Alla breve (2/2)
Le premier mouvement s'ouvre, de manière inhabituelle pour l'époque par l'intervention du pianiste, anticipant les concertos n°4 et n°5 de Beethoven. Comme le note Girdlestone en 1964, cette rupture avec les conventions ne s'arrête pas à cette entrée en solo mais continue dans le style du dialogue entre le piano et l'orchestre dans le reste du mouvement. Mozart a écrit deux cadences pour ce mouvement.

Le second mouvement est écrit en mode mineur, un procédé que Mozart n'utilisa que dans cinq concertos pour pianos : l'arrangement K.41, le K.271, le K.456, le K.482 et le K.488. Mozart écrivit deux cadences pour ce mouvement.

Le troisième mouvement qui s'ouvre par un solo du piano est de forme rondo à grande échelle. Il est interrompu de manière surpenante par une partie en menuet lent, un procédé que l'on retrouve dans son vingt-deuxième concerto de 1785. L'œuvre se termine dans son tempo d'origine.

Vous pouvez trouver la partition ICI

Personnellement c'est le mouvement lent que je préfère, emprunt d'une gravité élégiaque étonnante pour un compositeur tout juste âgé de 21 ans peut être due à ce mode mineur si inhabituel chez lui. Bien sûr il est amusant que Sarah, jeune damoiselle d'à peine treize ans joue avec virtuosité et majesté ce concerto dit "Jeunehomme", Mozart l'ayant écrit pour une pianiste française en visite à Salzbourg de ce nom.

L'andantino peut s'écouter ci-dessous par Alfred Brendel :
Mais c'est L'isle joyeuse de Debussy qui m'a transporté... D'abord parce que j'aime ce compositeur impressionniste (tiens, c'est ce que dit Patrice Leconte de son film Dogora, un film impressionniste ;-)) qui joue avec les sons comme un peintre avec ses couleurs... il s'est d'ailleurs inspiré du très célèbre tableau ci-dessous de Watteau de 1717, L'Embarquement pour Cythère qui engendrera une oeuvre de F.Poulenc par la suite.




L'oeuvre commence par un trille qui enflamme le morceau qui par la suite vous enveloppe d'une pâte sonore virevoltante, pleine de fulgurances, de pirouettes, de tourbillons. C'est brillant, vif et Sarah empoigne cette pièce à bras le corps, ses mains se chevauchent, ses doigts volent sur les touches noires et blanches du clavier qui se métamorphosent en un arc en ciel d'émotion, un montagne russe de notes, une cavalcade de rythme où la croche pointée double fréquente me rappelle une autre oeuvre de Debussy, la petite suite pour clarinette... C'est ébouriffant et laisse le public abasourdi par tant de brio maitrisé.

L'isle joyeuse de C.Debussy par Samson François :
Bien sûr un concert avec piano sans Chopin n'est pas tout à fait un concert... et c'est la première ballade en sol mineur que Sarah a choisi d'interpréter. Toujours selon Wikipédia, c'était "La ballade préférée de Chopin, qui plaisait également beaucoup à Schumann. Liszt voyait en elle une « odyssée de l'âme de Chopin », ballade au ton majoritairement plaintif mais sans mièvrerie aucune. Elle sonde tous les sentiments, bonheur, mélancolie, tristesse, allégresse, et passe de l'un à l'autre avec brio avant d'en revenir au ton initial, sombre, grave et déchirant. Son exécution requiert une solide technique.
Cette ballade connut un regain de popularité auprès du grand public suite à sa présence dans le film Le pianiste de Roman Polanski."

C'est fou ce que Chopin sied à cette jeune pianiste, cette fleur à peine éclose qui nous ballade d'un sentiment à l'autre dans cette oeuvre riche en émotions... quand on croit la dompter, elle s'échappe vers d'autres horizons, d'autres états d'âme... c'est doux et violent à la fois comme l'adolescence peut être ou les amours meurtries du grand Fredéric, ici avec Marie Wodzinska, lui qui ne "cherche qu'à exprimer l'âme et le coeur de l'Homme."

L'académicien français Edmond Jaloux disait des ballades de Chopin qu'elles "creusent les plaies et rongent les blessures de l'âme, avec les dents acérées de leurs accords." C'est assez juste quand on écoute cette première ballade en sol mineur interprétée par Krystian Zimerman :
Après deux rappels Sarah Zajtmann put prendre congé d'un auditoire conquis et nous donne rendez-vous pour son premier concert à l'auditorium de Lyon le 26 juin 2010 à 18h30 en première partie de la suite populaire Dogora d'Etienne Perruchon !